Journaliste pour RT France, Lucas Léger revient sur le dernier acte d’une aventure journalistique au sein de la chaîne, dont l'activité est compromise en raison du gel des comptes de celle-ci par la direction générale du Trésor français.
J’étais loin d’imaginer, en rendant l’antenne sur RT France à 18h11 le 19 janvier, jour glacial de manif à Paris, que je venais d’achever le dernier direct de terrain de l’histoire de la rédaction parisienne.
Quelques secondes plus tard, lorsque j’en fus averti par la productrice, je sentis brièvement les larmes me monter aux yeux pour la première fois depuis des années. Comme ça, sans prévenir. Moi qui me prenais pour un dur. Je vivais le dernier acte d’une aventure de plus de cinq ans au cours de laquelle j’avais vu naître et mourir une chaîne de télévision.
Sauf surprise, c'était mes dernières secondes de direct pour RT France et plus largement la dernière manif pour la rédaction française. Jusqu'au bout nous sommes allés sur le terrain pour donner un aperçu de la réalité sociale de ce pays. pic.twitter.com/3hyCzcbsx4
— Lucas Léger (@lucas_rtfrance) January 20, 2023
De retour à la rédaction, plus tard dans la soirée, je croisais les journalistes de l’équipe télé. Des jeunes pour la plupart (l’âge médian du personnel n’excède pas la trentaine chez RT France) se soutenant mutuellement, se photographiant devant le logo gigantesque de l’entrée, se réconfortant dans un moment de communion qu’on voit rarement dans le monde des médias.
Je les trouvais dignes, ces jeunes journalistes, salis depuis des mois par des torrents de boue déversés sur eux par la télé française et leurs intervenants experts en tout et surtout en rien. Ou encore par les «confrères» qui réclamaient qu’on les fasse taire, la plupart du temps sans rien connaître d’eux et de leur travail.
J’ai vu de futurs jeunes chômeurs qui devront dissimuler cette expérience sur leur CV pour éviter que l’interdit ne les poursuive après la mort de RT France. Des jeunes à qui, si on les démasque, on demandera sûrement de faire acte de contrition pour expier les crimes supposés de leur ancien employeur.
Du rédacteur en chef à l’alternant qui est resté moins de deux mois, tous devront raser les murs et éviter de trop s’épancher sur leur passé pour espérer gagner leur vie dans le journalisme.
Ne croyez pas que j’exagère. Avant même la guerre, une ancienne responsable des réseaux sociaux de RT France qui cherchait du boulot fut convoquée par le dirigeant d’un de ces «pure players» destinés à un public de jeunes urbains progressistes et écolos…
Elle croyait venir pour un entretien d’embauche. En réalité, elle s’est trouvée piégée dans l’antre d’un pervers qui n’avait pour seul objectif que de se défouler sur elle, l’abreuvant de reproches.
12 balles dans la peau
Sur les réseaux sociaux, on m’a traité de tous les noms, en public et en privé. On m’a comparé à Brasillach qui, excusez du peu, a fini au poteau. On m’a promis un beau procès à la Libération comme les collabos d’antan… évidemment presque toujours anonymement car pas un de ces «résistants» du net sur mille n’aurait osé me parler sur ce ton en son nom propre.
«Média affilié à un Etat, Russie», peut-on lire depuis mars 2022 sur mon compte Twitter personnel avec en plus, cerise sur le gâteau, une baisse de visibilité significative de mes publications. Si vous tapez mon nom dans le moteur de recherche du réseau social, vous ne verrez pas mon compte : effacé comme RT France qui existait encore mais que personne n’avait le droit de regarder.
Mais alors, me direz-vous, pourquoi rester dans un environnement aussi hostile ? Pourquoi ne pas se faire tout petit en espérant se faire oublier ?
La réponse est simple : les rares fois où je suis sorti avec le micro RT France dans la rue depuis ce fameux 24 février 2022 où tout a basculé, j’ai trouvé des gens ravis de me revoir sur le terrain. Et ne croyez pas que je parle seulement de manifestants : j’ai eu les mêmes remarques de la part de passants et même de flics, comme ce CRS qui m’a pris à part en pleine manif pour me demander comment consulter RT France sous VPN. Je me souviens aussi, quelques jours après l’entrée des Russes en Ukraine, de ce bourgeois bien habillé du VIIe arrondissement qui m’a tapé sur l’épaule en me disant de continuer alors qu’on appelait partout à notre censure. Ces anecdotes, tous ceux qui sont sortis avec le micro RT France peuvent vous en raconter.
J’ai surtout vu ces milliers de messages d’encouragements sur les réseaux sociaux, bien plus nombreux que les invectives, la haine et la boue. C’est ça qui m’a convaincu de rester jusqu’au bout. Je suis fier de ce que j’ai accompli à RT France.
Et prochainement, j’irai sans doute m’affilier à Pôle emploi en attendant d’apporter de nouveau quelque chose à cette démocratie défaillante.
Lucas Léger
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