Les membres du G7, organe de représentation des « vainqueurs » autoproclamés d'un conflit inachevé, tentent d'utiliser à leur profit les intérêts des actifs russes qu'ils avaient gelés. Quitte à trahir les principes libéraux qui ont fondé l'Occident. Une analyse de Karine Bechet-Golovko.
Dans un communiqué relayé par l’Élysée le 14 juin 2024, les chefs d’État et de gouvernements des pays du G7 ont sans surprise réannoncé leur soutien inconditionnel à l’Ukraine, en tout cas leur volonté de continuer jusqu’au bout la guerre qu’ils y mènent contre la Russie. Par cette décision politique, les pays du G7 veulent formellement faire reporter sur la Russie la responsabilité de ce conflit et, de manière purement mercantile, utiliser à leur profit le produit des actifs russes gelés.
Ainsi, ce communiqué désigne la Russie comme la responsable du conflit : « La Russie doit cesser sa guerre d’agression illégale et payer pour les dommages qu’elle a causés à l’Ukraine. ». Dans cette conception, l’histoire a commencé en 2022, dans une position purement négationniste des causes réelles de ce conflit en Ukraine et de la détermination de l’agresseur. Si l’agresseur est simplement celui qui agresse, n’y a-t-il pas eu agression avec l’organisation, principalement par les États-Unis avec l’aide des Anglo-Saxons et des Européens, d’une révolution de couleur, voire même de deux en 2004 et en 2014, en Ukraine ? Dans ce cas, ce sont bien les pays atlantistes, qui ont commis un crime d’agression contre l’Ukraine.
486 milliards de dollars ?
Plus loin, le montant des réparations à payer – à ce jour – par la Russie est évalué par les institutions globalistes : « Selon la Banque mondiale, le montant de ces dommages dépasse aujourd’hui 486 milliards de dollars américains ». L’évaluation des dégâts causés en Ukraine par la guerre atlantiste qui s’y déroule est effectuée par les organes de gouvernance globalisée. De plus cette évaluation est temporaire, puisque la guerre est toujours en cours et, par un renversement accusatoire, nous pouvons lire : « L’obligation qu’a la Russie, en vertu du droit international, de payer pour les dommages qu’elle cause ne fait aucun doute et nous continuons donc d’examiner toutes les possibilités légales de l’y contraindre. ». Quel rapport avec le droit international, puisqu’il s’agit d’une décision strictement politique ?
Le G7 se pose ainsi en organe de représentation des « vainqueurs » autoproclamés avant la fin du conflit pour tenter de formaliser l’utilisation du produit des actifs russes gelés afin de financer leur guerre : « C’est pourquoi, sans écarter la possibilité d’autres contributions et s’exprimant d’une seule voix, le G7 a l’intention de fournir un financement dont le remboursement des intérêts et du principal seront assurés par les flux futurs de recettes extraordinaires dégagés par les actifs souverains russes immobilisés dans l’Union européenne et dans d’autres juridictions concernées. À cet effet, nous nous efforcerons d’obtenir l’accord de ces juridictions pour utiliser les flux futurs de ces recettes extraordinaires pour le remboursement des intérêts et du principal de ces emprunts. Nous confirmons que, dans le respect de toutes les lois applicables et de nos systèmes juridiques respectifs, les actifs souverains russes présents dans nos juridictions resteront immobilisés jusqu’à ce que la Russie cesse sa guerre d’agression et verse des réparations pour les dommages qu’elle a causés à l’Ukraine. ».
Les Occidentaux veulent le remboursement des dégâts avant la fin du conflit
Autrement dit, les pays du G7 sont prêts à utiliser les produits des actifs russes, sans toucher aux actifs eux-mêmes, comme si en droit civil le produit des biens était détachable par magie des biens eux-mêmes. Lorsque le conflit sera terminé, et ils reconnaissent bien ainsi qu’ils ne sont pas à ce jour les vainqueurs, si la Russie perd alors ces actifs eux-mêmes, ceux-ci pourront dans cette logique être utilisés par les Atlantistes pour que ceux-ci rentrent un peu dans leurs fonds.
La question du remboursement des dégâts, inévitables lors d’un conflit armé, est importante: il s’agit en général de faire payer le prix de la défaite à l’ennemi, estampillé responsable du conflit par les vainqueurs. Mais la question se pose d’ordinaire à la fin du conflit et ce sont les vainqueurs qui établissent les procédures du paiement du tribut, soit par convention bilatérale ou multilatérale, soit par décision d’un tribunal international ad hoc, composé par les vainqueurs. La reconnaissance par la partie vaincue est fondamentale pour donner de la légitimité à ces processus, dont la dimension juridique n’est somme toute qu’un habillage de la volonté politique, même si l’habillage est important.
Ici, nous sommes dans une configuration différente, puisque les éléments devant légitimer l’acte du paiement ne sont pas réunis.
La guerre n’est pas terminée, elle est en cours. Il n’y a donc pas encore de vainqueurs ou de vaincus, mais des parties combattantes. De ce fait, cette « décision » accompagne le conflit, elle ne le règle pas. Il ne s’agit pas des mesures habituelles accompagnant la fin des guerres, devant estimer les compensations et le prix de la défaite. Non, il s’agit d’un instrument dans ce conflit, à la fois politique et financier. Politique, car il s’agit en gros de 300 milliards de dollars, pour les deux tiers en Europe, qui produisent 2,5 à 3 milliards par an. Or, rien que pour cette année, les pays du G7 s’engagent sur 50 milliards de dollars. Donc, le produit des actifs russes ne réglera pas la couverture des financements attendus, loin de là. Le geste ressort bien de la symbolique politique : constituer la figure de l’ennemi, le frapper symboliquement, le dégrader. Cette dimension financière de la guerre suit la dimension militaire, au moment où l’on voit des sanctions américaines tomber sur la Bourse de Moscou, lui interdisant de faire des transactions en dollars et en euros.
La décision du G7 n’a en elle-même aucune valeur juridique, à la différence des mécanismes classiques de règlement des conflits. Comme le communiqué le précise par ailleurs, il faudra que les législations soient adaptées et que les organes détenant ces actifs mettent à jour leur réglementation. Les États et les organes financiers porteront ainsi la véritable responsabilité de la décision politique prise au G7. Car le G7 n’est pas un organe ayant compétence pour prendre ce genre de décision.
Le G7 est dépourvu de toute légitimité
Il manque ici l’élément principal, celui de la légitimité. Le G7 n’est pas légitime pour imposer une réparation de guerre à la Russie, pour toutes les raisons évoquées précédemment. Il ne s’agit que d’une mesure de plus pour exercer une pression sur les pays du G7, afin qu’ils se sacrifient pour soutenir l’effort de guerre atlantiste.
Cela contribue également au transfert du pouvoir de décision vers un niveau supra-étatique, dans lesquels le rôle des États est de plus en plus faible. En perdant leur souveraineté, ils perdent la capacité de décision, et il ne leur reste que l’exécution. Et l’exécution de ces décisions, garantissant l’intérêt supérieur atlantiste global, ne peut être dépendant des aléas politiques internes, ce qu’écrivent par ailleurs noir sur blanc, dans un sursaut d’honnêteté, certains médias français comme Les Échos : « Un consensus a été trouvé pour parer au risque que de possibles changements politiques au sein de certains des pays du G7 puissent affaiblir le soutien à la cause ukrainienne. »
Il ne peut ainsi y avoir aucun fondement légal, si l’on n’entre pas dans la logique du droit de l’ennemi qui est justement une nullification du droit au profit de la force, à la spoliation des actifs russes ou de leur produit. Simplement, cela devient nécessaire pour l’Occident, car la guerre dure, les économies occidentales sont touchées et il leur est nécessaire d’aller toujours plus loin. La seule paix que les pays de l’Axe atlantiste puissent accepter est celle de la capitulation de la Russie. Pour aller dans cette voie, ils sont prêts à tout sacrifier, notamment les règles libérales qui ont fondé l’Occident. La spoliation du produit des actifs russes et le gel de ces actifs en sont un exemple flagrant.
Accord de sécurité américano-ukrainien : un «simple bout de papier», raille Zakharova